Pierrette Rey : rentrée du Tribunal de commerrce de Paris

Publié le par TMS

Rentrée solennelle du Tribunal de commerce de Paris
(10 janvier 2007)
Discours de Perrette Rey
Président du Tribunal de commerce de Paris, Président de la Conférence des
Juges consulaires de France, Président de l’Association du Bicentenaire du
Code de commerce
Il faut nous rendre à l’évidence : en 10 ans la justice consulaire a changé de métier.
Elle a aussi changé de visage. Ses deux métiers, elle les tient du Code de commerce de 1807 dont nous célèbrerons le bicentenaire à la Sorbonne les 1er et 2 février prochains. Vous le
savez, les tribunaux de commerce règlent en premier ressort les conflits de l’économie. Ils traitent aussi des difficultés des entreprises. Mais le monde, « cette branloire perenne » comme disait Montaigne, a muté et, avec lui, l’essence de nos métiers.
La justice commerciale s’exerce désormais dans une économie mondialisée où la compétition fait rage, avec l’émergence de nouvelles puissances qui déplacent le centre de gravité de la production et de la consommation planétaires. C’est vers elle que se tournent les acteurs d’une économie libérale à la recherche de  nouvelles règles de régulation. Le droit et l’organisation judiciaire des États sont devenus des facteurs de compétitivité des entreprises qui n’ont pas pour but de gagner des procès mais des parts de marché.
Partout dans ce monde sans frontières, dur, violent, où la loi du plus fort est difficilement tempérée par la part d’humanité péniblement sauvegardée par deux siècles de démocratie, l’économie et le droit se sont interpénétrés. L’école de Chicago avait raison. Posner, Coase ou Calabresi étaient bons prophètes. On ne peut rendre une bonne justice économique en méconnaissant ou le droit ou l’économie. Dans ce contexte, la justice économique française a connu en dix ans une profonde
mutation quantitative et qualitative. Nos 185 tribunaux de commerce et leurs 3.100 juges consulaires ont encore rendu en 2006 près d’un million de décisions par an, dont 10 % pour le seul Tribunal de commerce de Paris avec ses 165 juges actifs. Mais savez-vous qu’en 10 ans, le nombre d’affaires nouvelles contentieuses donnant lieu à jugements, ordonnances de référé ou injonctions de payer a diminué de 45 % dans l’hexagone comme à Paris ? Et si le recul est moindre pour l’ouverture des procédures collectives par assignation,  déclaration de cessation des paiements ou saisine d’office du tribunal, il est néanmoins de 34 % durant la dernière décennie.

Pourtant la tâche de nos juges ne s’est pas allégée. Car cette diminution quantitative s’est accompagnée d’une complexification croissante des litiges et de la pratique d’un nouveau métier : la prévention des difficultés des entreprises. Qu’on se le dise, César Birotteau est mort et enterré. Non que la probité, le bon vouloir, le sentiment du juste – que Balzac prêtait à son héros, marchand parfumeur élu juge au Tribunal de commerce de la Seine en 1810 – aient cessé d’être des qualités nécessaires. Mais elles ne suffisent plus. Hors la compétence économique et juridique, point de justice commerciale.  Parmi les causes de cette complexité croissante, j’en distinguerai trois : • d’abord la nature des affaires. Les petits contentieux entre commerçants, qu’il s’agit de concilier et de réconcilier, sont une espèce en voie de disparition. La multiplicité des parties, françaises ou non, l’importance des enjeux, la nouveauté des technologies, des métiers, des acteurs dans un monde virtuel où le temps s’accélère et la distance s’abolit, obligent le juge économique à défricher sans cesse, le Code à la main, une terre inconnue. Explorateur d’un continent nouveau, ce serviteur de la loi devient bien malgré lui source de droit, condamné à faire cesser le silence assourdissant de textes touffus, qui croyaient avoir tout prévu et ont parfois oublié l’essentiel. • et puis l’Europe qui peine à se construire est aussi cause de cette complexité. Elle
fait de nous des juges européens et nous impose la primauté de son droit. Huit de nos juridictions n’ont-elles pas repris des mains de la Commission européenne le flambeau de la lutte contre les abus de position dominante ou contre les pratiques anti-concurrentielles ? Et l’application du règlement d’insolvabilité n’est-elle pas en train de faire émerger au fil des arrêts de la Cour de Justice de Luxembourg, de la Cour de Cassation mais aussi de nos jugements (je pense à Eurotunnel), un droit européen des entreprises en difficulté ?
• J’évoquerai encore l’imagination créatrice du Barreau qui excelle à faire du Code de procédure civile le rempart des droits de la défense, avec d’autant plus de talent que la cause est mauvaise. Mais, somme toute, mieux vaut entraîner son juge dans le maquis des exceptions d’incompétence, de litispendance ou de connexité – fussent-elles dilatoires –, que de tenter sa récusation pour excès de clairvoyance. À la gestion de contentieux de plus en plus complexes, s’est s’ajoutée la pratique de ce nouveau métier de la justice consulaire qu’est la prévention des difficultés des
entreprises.Il y a 25 ans que le Tribunal de commerce de Paris, en inventant le mandat ad hoc, a
ouvert la voie. C’était avant la loi du 1er mars 1984 sur le règlement amiable, avant celle du 10 juin 1994 consacrant le mandat ad hoc, avant celle du 26 juillet 2005 qui a créé la conciliation et la sauvegarde et compris - enfin - que l’anticipation des difficultés le plus en amont possible était la seule façon efficace de les traiter. Mandats ad hoc, règlements amiables et conciliations ne sauvent-ils pas deux entreprises sur trois, là où seulement 10 % des procédures collectives sont des redressements judiciaires réussis ? Entre 1999 et 2005, le nombre des mandats ad hoc dans l’hexagone a plus que doublé, passant annuellement de 741 à 1.524 et celui des règlements amiables s’est maintenu aux alentours de 300. La loi de sauvegarde a donné un nouveau souffle à la prévention-traitement puisque, si le nombre de mandats ad hoc est, en 2006, en légère progression par rapport à 2005, il y a eu en 2006 trois fois plus de conciliations en France et cinq fois plus à Paris qu’il n’y avait eu de règlements amiables en 2005. Comme nous l’avions prévu,

débiteurs et créanciers ont plébiscité la confidentialité, choisissant dans plus de 95 % des cas de faire constater leur accord par simple ordonnance du Président du Tribunal. La procédure de sauvegarde a montré son utilité. Il s’en est ouvert en 2006 environ 500 dans l’hexagone, soit 70 % des demandes. Certaines affaires telles Eurotunnel et Libération à Paris ont utilement contribué à la faire mieux connaître.Enfin, partout en France se met en place la prévention-détection avec l’aide de nos greffes, à l’initiative des présidents de Tribunaux de commerce, à l’exemple de Paris qui convoque chaque année, grâce à son équipe de 35 juges en activité assistée de deux greffières, 4.000 chefs d’entreprises en difficulté. Parce que les métiers changent, la justice consulaire change de visage. Ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre, consciente de ses faiblesses comme de ses atouts face aux attentes et aux craintes de ses justiciables, elle se transforme. Elle s’est donnée les moyens de sa métamorphose. • On la trouvait insuffisamment compétente en droit. Elle est retournée à l’école qui,depuis décembre 2003, est la même que celle des magistrats de carrière : l’École nationale de la magistrature, qui assure désormais sa formation initiale et sa
formation continue. À Paris, chaque juge nouvellement élu reçoit une formation à la rédaction des jugements et au métier de juge-rapporteur qui donne lieu à un examen. Et cette épreuve n’est pas une simple formalité. • On disait les magistrats consulaires, élus et bénévoles, issus du monde de
l’entreprise, exposés à des conflits d’intérêt peu compatibles avec l’indépendance et l’impartialité objective et même apparente qui sied au juge. Mais le Conseil national des Tribunaux de commerce, organe institutionnel de dialogue entre les pouvoirs publics et la justice consulaire, outil de réflexion et de progrès présidé par le garde des Sceaux, qui a débuté activement ses travaux en 2006, a précisément dans ses attributions la déontologie de la justice consulaire.
L’une de ses cinq commissions y œuvre avec détermination. • On a rarement mis en cause l’efficacité de la justice consulaire. 13 % seulement de ses jugements font l’objet d’un recours et moins de 4 % sont infirmés. Sa rapidité est connue. Mais elle sait qu’elle peut et doit progresser encore pour rendre homogènes la qualité et la lisibilité de ses décisions, ce à quoi s’emploie la commission Procédure commerciale du Conseil national des Tribunaux de commerce. En outre la justice consulaire ne fera pas l’économie de la réforme de sa carte judiciaire. Près de trois ans de travail ont permis à la Conférence des Juges consulaires de France de finaliser un projet de schéma directeur de cette réforme et de s’employer à lever les obstacles de tous ordres qui s’y opposent. Elle poursuit désormais ses efforts dans le cadre de la commission Carte judiciaire du Conseil national des Tribunaux de commerce, puisque seul le gouvernement peut créer, supprimer ou regrouper des tribunaux de commerce. • On présentait la justice consulaire comme une justice d’exception en marge du système judiciaire français, ni tout à fait dedans, ni tout à fait dehors, tolérée plus qu’acceptée par une magistrature de carrière qui a longtemps contesté son existence et parfois fait preuve à son égard de condescendance ou de mépris. Je ne dirai jamais assez notre gratitude envers le Premier président, le Procureur général, le président de la Chambre commerciale de la Cour de Cassation, envers les chefs de la Cour d’appel de Paris, envers le président du Tribunal de Grande  instance, le Procureur de la République et son parquet et tous les magistrats qui nous ont tendu la main et encouragé dans notre démarche de progrès.
Et je sais que partout en France, chefs de Cours et magistrats délégués à la formation, parquetiers et juges du siège ont compris que la justice consulaire avait soif de leur savoir et de leur considération. Qu’ils en soient remerciés. • On sait que la justice consulaire avait à l’origine chassé de ses Palais avocats et avoués, donnant aux justiciables le redoutable privilège d’exposer en personne les raisons de leur querelle. Elle en fut bien punie, souffrant souvent de ne pouvoir
démêler l’objet des litiges.
Chers amis du Barreau, je rends grâce à vos prédécesseurs d’être venus au secours des miens en se faisant agréer afin d’y pouvoir exercer leur métier. Vous qui êtes nos auxiliaires de justice, comme nos greffiers, nos huissiers audienciers, nos administrateurs et mandataires judiciaires, nos commissaires-priseurs ou courtiers et vous nos experts, vous le savez bien : vous aussi vous êtes au cœur de ce grand maelström économique et juridique et c’est la survie même de vos professions, de vos études, de vos charges, de vos métiers qui est l’enjeu de cette compétition sans pitié.
Je constate avec plaisir que vous êtes de plus en plus nombreux à en avoir conscience et je salue toutes vos initiatives qui tendent à plus d’efficacité, qu’il s’agisse de dématérialiser les échanges, de regrouper structures et moyens, ou d’entreprendre des démarches qualité. • On disait la justice consulaire française isolée, unique survivante d’un passé révolu dans une Europe qui avait choisi de faire trancher ses litiges économiques par la magistrature professionnelle ou par l’échevinage, ravalant alors les juges consulaires au rôle d’assesseurs, habilités à donner oralement leur avis mais pas à rédiger de projet de jugement. Et voilà qu’au Congrès de Lille de la Conférence des Juges consulaires de France, en novembre 2005, les représentants des 8.000 juges consulaires européens décident de travailler ensemble.À celui de la Sorbonne dans quelques jours, 1.000 personnalités venues de 66 pays, magistrats et chefs d’entreprises, universitaires et politiques, uniront leurs efforts pour réfléchir au passé, au présent et à la nécessaire évolution du droit et de la
justice dans une économie planétaire à la recherche de ses nouvelles règles de régulation. Cette aventure, nous la réussirons ensemble. Et c’est à vous tous que nous le devrons.
À vous d’abord, mes chers collègues parisiens qui n’avez ménagé ni votre temps, ni votre peine, ni vos talents pour qu’elle soit à la mesure de nos ambitions, un défi de plus que vous avez voulu et su relever, conscients qu’il vous appartenait là aussi de montrer le chemin. À vous ensuite mes collègues de la Conférence des Juges consulaires de France qui prendrez le relais entre mars et octobre 2007 pour poursuivre la réflexion dans 16  métropoles françaises et autant de colloques. À vous nos partenaires – Chancellerie, Cour de cassation, Association française pour l’Histoire de la Justice, Université de Paris, Chambre de commerce et d’industrie de Paris, Barreau de Paris, professionnels du chiffre, huissiers audienciers, Conseil national des Administrateurs et mandataires judiciaires, Mairie de Paris, greffiers experts et nombreuses institutions et entreprises - qui avez avec nous cherché dans votre histoire à mieux comprendre le présent et à inventer notre avenir commun.
À toutes et à tous, aux Hautes personnalités qui honorent de leur présence cette
rentrée solennelle 2007, la 444 ème du Tribunal de commerce de Paris, merci de votre
attention, de votre soutien, de votre exigence à notre égard. Ils nous donnent le courage d’avancer, ce courage dont la justice a tant besoin et qui faisait dire à Alain : « Si la justice se présentait toujours sous l’apparence du courage, il y aurait plus de justice »
Très bonne année à toutes et à tous.


le monde est fou, le monde est beau tout va dans les tribunaux de commerce .. pas un mot sur les entreprises disparues, les chefs d'entreprises  ruinés, les salariés sans emplois, les créanciers avec des problèmes de trésorerie .. c'est un monde merveilleux

Publié dans justice consulaire

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