responsabilité de l'état pour la faute commise par un magistrat (2)

Publié le par TMS

I. L'application de la responsabilité de l'État pour faute du service de la justice par le juge judiciaire

Le dispositif institué par la loi du 5 juillet 1972 comporte deux éléments :

- La mise en jeu de la responsabilité de l'État du fait du fonctionnement défectueux du service de la justice pour faute lourde ou déni de justice (art. L. 781-1, al. 1) ;

- La garantie par l'État des victimes des dommages causés par les fautes personnelles des juges, sauf son recours contre ces derniers (art. L. 781-1, al. 3).

Ainsi se trouvent consacrés les principes évoqués lors des débats parlementaires : d'une part, l'exigence d'une faute lourde (à laquelle s'ajoute le déni de justice) témoigne d'une conception restrictive de la responsabilité de l'État en la matière, d'autre part, la distinction de la faute de service et de la faute personnelle confirme que la loi du 5 juillet 1972 s'est inspirée de la jurisprudence administrative.

Quelle a été, à ce jour, l'application de ces principes par le juge judiciaire, tant en ce qui concerne les notions de faute lourde et de déni de justice que celle de faute personnelle ?


A. La faute lourde

L'article L. 781-1, alinéa 1 qualifie la faute de nature à engager la responsabilité de l'État. Il ne la définit pas. Comme en matière de responsabilité administrative, il appartient à la jurisprudence d'en dégager les critères.

A cet égard, une modification importante a été introduite par l'arrêt d'assemblée plénière de la Cour de cassation du 23 février 2001 : Consorts Bolle-Laroche (Civ. 1ère, Bull. n° 5 ; AJ.DA 20 sept. 2001, p. 789, note S. Petit).


1. La faute lourde avant l'arrêt du 23 février 2001

C'est, tout naturellement, la définition donnée par la Cour de cassation sous le régime de la prise à partie qui a été retenue : la faute lourde est "celle qui a été commise sous l'influence d'une erreur tellement grossière qu'un magistrat normalement soucieux de ses devoirs n'y eut pas été entraîné" (Civ. 1ère, 13 octobre 1953, Bull. n° 224).

Cette formule se trouve surtout dans les décisions des juges du fond (v. par exemple, C.A Paris, 21 juin 1989 : Gaz. Pal. 1985, 2, p. 344, concl. Lupi - 21 mars 1991 : Gaz. Pal. 1992, I, somm. p. 230).

La Cour de cassation l'utilise également (Civ. 1ère, 10 juin 1999, Vaney c/ AJT, req. n° 97-11.780).

D'autres définitions sont fournies par certaines cours d'appel.

L'animosité personnelle, l'intention de nuire, la mauvaise foi, sont parfois prises en considération (C.A Paris, 13 mars 1985 : B.C c/ Trésor Public : Juris-Data n° 2087 ; C.A Aix, 25 mai 1988, Sté Fils de Ramel - 29 mai 1990, Delalande c/ A.J.T cités par Pluyette et Chauvin, op.cit. n° 113). Ces décisions ne traduisent cependant pas l'exigence d'une faute intentionnelle. Elles se bornent à retenir cet élément comme l'un des critères possibles de la faute lourde.

En revanche, la référence à un "comportement anormalement déficient" parfois utilisée par les juges du fond (v. par exemple, C.A Paris, 21 juin 1989 précité - 25 octobre 2000, Y c/ A.J.T : Légifrance n° 1999/07817) semble révéler un certain assouplissement de la jurisprudence (v. également, T.G.I Paris, 11 juillet 2001 : D. 2001, Inf. rap. 2806, qui se réfère à une "déficience du service public le rendant inapte à remplir la mission dont il est investi").

Il faut, toutefois, souligner que, fréquemment, tant la Cour de cassation que les juges du fond se bornent à déduire des faits constatés que le fonctionnement du service de la justice a été ou non défectueux au sens de l'article L. 781-1, ou simplement que la faute lourde est ou non constituée, sans se référer à une définition (en ce sens, pour la Cour de cassation : Com. 21 fév. 1995 : Bull. n° 52 - Civ. 1ère, 13 oct. 1998, Bull. n° 234 - 9 mars 1999 Bull. n° 84 ; J.C.P 1999, II, 10 069, rapport Sargos).

La jurisprudence, d'abord très restreinte dans les premières années d'application de la loi, est, à ce jour, relativement abondante, surtout en ce qui concerne les juridictions du fond.

Deux observations doivent être faites à cet égard.

On peut constater, tout d'abord, que le fonctionnement des juridictions pénales est la source principale de ce contentieux.

Sans doute faut-il voir là l'effet de la sensibilité particulière du justiciable aux décisions du juge répressif. Mais la raison peut aussi en être trouvée dans la spécificité de la procédure pénale où interviennent fréquemment, à diverses étapes, des décisions individuelles (juge d'instruction, parquet). Ainsi est-il, à la fois, plus aisé d'identifier la faute et de la dissocier de la décision juridictionnelle finale (même si, comme on le verra, l'autorité de chose jugée ne fait pas obstacle à la reconnaissance d'une faute lourde).

Il faut toutefois, relever que, paradoxalement, c'est à une juridiction civile que l'on demande d'apprécier l'existence d'une faute lourde dans le déroulement d'une procédure pénale.

La seconde remarque porte sur l'étendue de la notion de "service de la justice". Elle englobe non seulement l'activité des magistrats du siège et du parquet, mais également celle des greffiers et, d'une manière générale, de tous les agents participant à des opérations de police judiciaire.

Les exemples d'admission d'une faute lourde par la Cour de cassation sont relativement rares.

Ont notamment été retenus comme tels :

- l'absence de tout acte d'instruction entre deux auditions d'un justiciable justifiée par la seule attente du retour d'une commission rogatoire internationale, alors qu'aucune précision n'est donnée ni sur la date d'envoi de celle-ci ni sur l'impossibilité de poursuivre l'instruction avant son retour (Civ. 1ère, 29 juin1994, Bull. n° 227). 

- la divulgation d'information à l'Agence France-Presse par les services de la répression des fraudes à l'occasion d'une enquête de police judiciaire permettant d'identifier les personnes en cause (Civ. 1ère, 9 mars 1999, Bull. n° 84 ; D. 2000, J. p. 398, note Matsopoulos : J.C.P. 1999, II, 10069, rapport Sargos).

- l'exécution d'une opération de police judiciaire en l'absence de l'élément légal de l'infraction supposée (Civ. 1ère, 15 oct. 1996, Bull. n° 352).

- l'adoption par le ministère de la justice d'une circulaire faisant injonction aux procureurs de la République d'engager des poursuites pénales, en application des articles L. 17 et L. 18 du Code des débits de boissons, déclarés contraires au Traité instituant la Communauté européenne par la Cour de justice des communautés européennes (Com. 21 févr. 1995, Bull. n° 52).

Les juridictions du fond ont, pour leur part, admis l'existence d'une faute lourde dans les cas suivants : disparition, dans des circonstances indéterminées, d'un dossier pénal d'instruction, alors que des copies de pièces n'avaient pas été établies, comme le prescrit l'article 81 du Code de procédure pénale (T.G.I Paris, 5 janv. 2000, D. 2000, IR 45) ; mise en détention provisoire non justifiée en ses éléments (C.A Paris, 14 juin 1998 : Gaz. Pal. 8 oct. 1996 : note X) ; injonction de conclure à deux ans et fixation de la date des plaidoiries à trois ans (T.G.I Paris, 6 juill. 1949 ; RTD Civ 1995, 957, obs. Perrot) ; carence d'un greffe correctionnel pour délivrer à la partie civile la grosse d'un jugement (T.G.I Thonon Les Bains, 3 nov. 1994 : Gaz. Pal. 10 juin 1995) ; omission par le parquet de mettre en oeuvre la délocalisation de la procédure requise par l'ancien article 679 du Code de procédure pénale, s'agissant de poursuites dirigées contre un juge consulaire (C.A Paris, 21 mai 1991 : Gaz. Pal. 1992, I, 230).

Plus fréquents sont les arrêts de la Cour de cassation rejetant la qualification de faute lourde.

Ainsi, s'agissant du comportement d'un juge d'instruction, la mise en détention et le renvoi devant le tribunal correctionnel du président du conseil d'administration d'une société anonyme inculpé d'abus de biens sociaux, est excusable, en dépit de l'erreur commise par le magistrat sur sa compétence territoriale, eu égard à la complexité du dossier à portée internationale (Civ. 2ème, 10 juin 1999, arrêt n° 934 D ; v. également Civ. 1ère, 3 mai 2000 : Bienes c/ A.J.T, arrêt n° 795 D : la carence alléguée à l'encontre d'un juge d'instruction dans l'enquête sur les circonstances d'un accident mortel de la circulation ne peut constituer une faute lourde, eu égard à la difficulté insurmontable, caractérisée par la cour d'appel, d'arriver à une certitude).

Ne constitue pas davantage une faute lourde, en raison des circonstances de l'espèce, la lettre, rédigée en termes discourtois, adressée par un juge départiteur à un avocat (avec copie au bâtonnier de l'Ordre et au client), suite à une demande de renvoi formulée lors de l'audience par le conseil adverse, ayant pour effet de vider le rôle de son contenu (Civ. 1ère, 13 oct. 1998 : D. 2000, J. 576 - comparer : T.G.I. Paris, 2 juill. 1999 : D. 1999, I.R p. 214 : l'ordre de perquisitionner au domicile d'un avocat ne relève pas de la faute lourde, dès lors que cette mesure est nécessaire à la manifestation de la vérité et ne porte pas atteinte aux droits de la défense).

Une faute lourde ne peut être retenue à l'encontre du greffe d'un tribunal de grande instance qui a enrôlé inconsidérément une assignation délivrée devant la juridiction commerciale ni du tribunal qui a statué sur cette citation sans vérifier sa saisine (Civ. 1ère, 20 fév. 1996, Bull. n° 94).

Ce dernier arrêt, relatif à une erreur de procédure initiale perpétuée jusqu'à la décision juridictionnelle finale, conduit à s'interroger sur la mise en jeu de la responsabilité de l'État pour des actes juridictionnels revêtus de l'autorité de la chose jugée.

Le danger d'une remise en cause de l'autorité de la chose jugée a été signalé dès l'élaboration de la loi du 5 juillet 1972 (v. observations de MM. Mazeaud et Foyer, Ass. Nat. Rapp. N° 2447). L'arrêt du Conseil d'État Darmont du 29 décembre 1978 (D. 1979, p. 278, note Vasseur) s'est clairement prononcé contre une telle possibilité en ce qui concerne les décisions des juridictions administratives.

Pourtant, dans la célèbre affaire des époux Saint-Aubin contre l'État, la Cour d'appel de Paris a admis que les "actes juridictionnels proprement dits" n'étaient pas exclus du champ d'application de l'article L. 781-1 (C.A Paris, 21 juin 1989 : Gaz. Pal., 1989, 2, 944, concl. Lupi).

La portée de cette décision doit être nuancée, la cour d'appel ayant relevé qu'il s'agissait, en l'occurrence, de décisions rendues par des juridictions d'instruction, provisoires par nature (ordonnance de non-lieu et arrêt confirmatif de la chambre d'accusation, n'ayant pas autorité de chose jugée à l'égard de l'action portée par les époux Saint-Aubin devant la juridiction civile). La qualification de faute lourde n'a, d'ailleurs, pas été retenue en l'espèce.

Plus caractéristique est l'arrêt rendu par la cour d'appel d'Aix-en- Provence le 15 septembre 1986, entre les mêmes parties.

Si cette décision ne retient pas davantage la faute lourde, elle affirme clairement, cette fois, qu' "un acte juridictionnel, même définitif peut donner lieu à une mise en oeuvre de la responsabilité de l'État". En rejetant le pourvoi formé contre cet arrêt, la Cour de cassation a, par là-même, validé cette décision dont elle a reproduit les termes précités (Civ. 1ère, 20 mars 1989, Bull. n° 131).

Plus récemment, la cour d'appel de Paris a jugé que la décision d'un juge aux affaires matrimoniales fixant le lieu de résidence habituelle d'une enfant chez la mère, laquelle avait tué sa fille, constituait une faute lourde. La mère avait auparavant été hospitalisée d'office pour meurtre hallucinatoire (C.A Paris, 25 octobre 2000 : D. 2001, J. p. 580, note Lienhard).

La circonstance que l'ordonnance litigieuse soit devenue définitive, faute d'appel du père de l'enfant, n'a pas fait obstacle à la reconnaissance d'une faute lourde. Toutefois, la cour d'appel a pris soin de relever que la signification requise par l'article 670-1 du nouveau Code de procédure civile, en cas de non réclamation de la lettre recommandée notifiant l'ordonnance, n'avait pas été effectuée.

L'ensemble de la jurisprudence précitée semble révéler une certaine propension à interpréter de façon relativement souple la notion de faute lourde du service de la justice. Certaines omissions, négligences ou erreurs encourant, en effet, cette qualification, plus par l'ampleur de leurs conséquences que par leur gravité intrinsèque.

Le "carcan" de l'exigence d'une faute lourde modère toutefois sensiblement une telle tendance

C'est pourquoi l'arrêt d'assemblée plénière du 23 février 2001 ouvre une perspective beaucoup plus large.

Publié dans tms25

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